Avec « The Love Pretender », Jeff Mills et Spiral Deluxe improvisent sans filet, entre jazz et techno. Un album exigeant, libre et insaisissable, loin des formats attendus.
Jeff Mills n’a jamais fait les choses comme les autres. Alors que la techno de Detroit s’est souvent enfermée dans ses propres codes, lui a toujours cherché à repousser les frontières. Avec Spiral Deluxe, il s’offre un laboratoire à ciel ouvert où les machines rencontrent les instruments acoustiques, où la rigueur du beat croise l’élasticité du jazz. Le nouvel album, « The Love Pretender », en est la preuve éclatante : un disque entièrement improvisé, où l’instant dicte la direction et où la maîtrise technique se met au service de l’imprévu.
On pourrait croire à un caprice de musicien aguerri, une démonstration d’érudition où chacun cherche à en imposer. Mais c’est tout l’inverse qui se joue ici. La complicité entre Mills, le bassiste Kenji « Jino » Hino, le claviériste Gerald Mitchell et la magicienne du Moog Yumiko Ohno saute aux oreilles. Chacun trouve sa place dans une architecture mouvante où la spontanéité fait loi. Cela donne une matière sonore d’une richesse rare, à la fois fluide et dense, où chaque instrument respire et laisse respirer l’autre.
Temps suspendu
L’album oscille entre une sensualité presque feutrée et des moments de tension brute. Certains morceaux s’étirent, s’étendent en nappes qui semblent ne jamais vouloir s’arrêter, jouant sur une sensation de suspension du temps. D’autres, au contraire, sont plus tranchants, plus incisifs, où Mills impose une rythmique proche de ses productions électroniques. La basse y est omniprésente, à la fois moteur et colonne vertébrale, tandis que le Moog injecte des éclats cosmiques, reliant le tout à une certaine idée du jazz spatial.
Si « The Love Pretender » séduit par sa liberté, il demande aussi une forme d’abandon de la part de l’auditeur. Rien ici n’est prémâché, aucune mélodie ne vient accrocher immédiatement. C’est un disque exigeant, qui refuse la facilité et l’immédiateté, préférant creuser en profondeur plutôt que de chercher à plaire immédiatement. Une posture audacieuse, mais qui pourra en dérouter certains.
Ceux qui accepteront le voyage découvriront un disque mouvant, insaisissable, où chaque écoute révèle de nouvelles strates. « The Love Pretender » n’est pas un album de jazz, ni un album de techno, ni un album de fusion. C’est une conversation entre musiciens qui ne se posent aucune limite et qui laissent la musique se faire, tout simplement. Dans un monde où tout est calibré, formaté et anticipé, cette prise de risque est une bouffée d’air frais.

