En parallèle de sa tournée Invites, où il sillonne les scènes francophones aux côtés d’artistes de sa génération, Sköne développe un projet loin des banques de samples. Rencontre.
Tu es en pleine tournée « Invites » depuis août, de la Suisse à la Belgique en passant évidemment par la France. Pourquoi avoir voulu couvrir autant de territoires francophones ?
Ma fanbase est très majoritairement francophone. Mes auditeurs sont en France, en Belgique, en Suisse, à La Réunion… donc c’était logique que ma première « vraie » tournée, d’une vingtaine de dates, passe par là.
Le but, c’était de rencontrer ces gens en vrai, de sortir de la relation purement digitale. C’est ma première tournée construite comme un tout cohérent, pas juste des dates éparses. Et le petit bonus, c’est de pouvoir la faire avec des artistes que j’admire vraiment, que je considère dans les meilleurs de notre scène. Ça la transforme en tournée entre copains, avec plein de guests que je respecte énormément.
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Cette première tournée cohérente, avec des artistes proches, semble très pensée. Comment avez-vous construit son rythme et son itinéraire ?
Le rythme est dicté par la saison des festivals. On voulait que la tournée club se termine grosso modo avant l’été pour laisser de la place aux festoches et à toute la préparation que ça implique.
Pour l’itinéraire, on n’a pas fait une carte ultra réfléchie. On a surtout fonctionné aux opportunités : on contactait des clubs, des organisateurs, des collectifs, on demandait « est-ce que cette date est dispo ? », et on a assemblé tout ça comme un puzzle, en jonglant avec les agendas de tout le monde.
Pendant ces dates, tu navigues entre sets clubs et festivals. Comment réfléchis-tu à cette narration musicale selon le contexte, et qu’est-ce qui va changer avec l’arrivée des festivals ?
En club, j’ai plus de temps. Des sets d’1 h 30, parfois plus, donc la place de raconter une vraie histoire. Je commence presque toujours par des morceaux très mélodiques, et je termine en mode plus hard, plus rave. C’est fidèle à ma manière de produire : j’ai une grosse facette mélodique, mais aussi un côté plus expérimental et rentre-dedans que j’adore défendre en club.
En festival, les sets sont plus courts et très millimétrés. Les gens veulent entendre les gros classiques, les morceaux identifiés. C’est un peu moins personnalisé, mais c’est une autre énergie.
Et au milieu de tout ça, il y a les B2B : Silence avec Protokseed, un B2B avec Kodaman, et quelques surprises. Ça permet de casser la routine et de partager la scène avec les potes, ce qui est important vu que ce sont eux que je vois le plus souvent.
Tu évoques des B2B, des découvertes, des collaborations… On sent que la scène et la rencontre sont centrales pour toi. Et justement : tu reviens de Mauritanie et d’Ouzbékistan. Qu’est-ce qui t’a poussé à chercher de l’inspiration si loin de tes territoires habituels ?
La Mauritanie, au départ, ce n’était même pas pour la musique. Je voulais juste réaliser un vieux rêve : monter sur le train du désert, le train saharien qui transporte le minerai à ciel ouvert. J’en ai parlé à une équipe de vidéastes/urbexeurs/traceurs qui sont aujourd’hui ma team vidéo, ils étaient ultra chauds.
Je me suis dit : « Tant qu’à y aller, je prends un micro. » Dans le désert, en Mauritanie, tu entends des trucs que tu n’auras jamais à Paris : le vent dans les dunes, le métal des wagons qui s’entrechoquent, la vie locale. On est partis à quatre, trois caméras, plus moi avec mon micro, et c’est là qu’est née l’idée de construire un projet entier autour de ces field recordings.
L’Ouzbékistan, c’est la suite logique. J’ai écrit au Stihia Festival, le plus gros festival de musique électronique d’Asie centrale. Après une boucle de mails infinie, ils ont accepté. On a refait la même équipe, on a enregistré des musiciens locaux, des villages avec ruisseaux, coups de marteau, feu qui crépite… et j’ai fini le voyage en jouant sur leur mainstage, sur un ancien cimetière de bateaux en plein désert. C’était complètement hors du temps.



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Vous filmez, documentez, explorez des lieux abandonnés. Vois-tu plutôt ce travail comme une extension de ta musique ou comme un projet parallèle ?
À la base, je suis fan d’urbex. J’avais un peu mis ça de côté avec la musique, puis je suis tombé sur ces gars via Instagram. On a commencé par faire des plans dans le métro parisien, puis des trucs plus fous.
En Mauritanie, on avait un drone qui a littéralement fini sa course dans un wagon, mais on a récupéré les images. En Ouzbékistan, on a tourné une interview sur un bateau échoué au milieu du désert. Tout ça crée une matière visuelle dingue.
L’idée, c’est de relier ça au son : les voyages, les field recordings, l’urbex… et d’en faire à terme une expérience immersive. Il y a un projet de documentaire qui tournera d’abord en festivals de cinéma avant, peut-être, de sortir sur une chaîne. On parle plus de 2027 pour la sortie, donc on a le temps d’y revenir.
Concrètement, comment ces expériences de terrain influencent-elles tes prods et tes lives ?
Déjà, ça me donne envie de continuer. Voyager, bouger, rencontrer des gens, c’est ce qui me motive le plus. Sur place, certains sons deviennent directement de la musique.
Par exemple, en Ouzbékistan, on se baladait dans un village avec des petits ruisseaux, des mecs qui tapent sur du bois, qui font du feu. Je marchais avec le micro en l’air, et j’ai capté toute l’ambiance. Cette captation est devenue l’intro d’une track telle quelle, sans retouche.
D’autres fois, c’est beaucoup plus technique. Le bruit des wagons qui s’entrechoquent en Mauritanie, ça fait des espèces de gros impacts métalliques. Tu l’entends et tu te dis : « OK, ça, ça va devenir un super kick ou un gros impact de break. » Parfois je dois aller chercher une minuscule portion de sample, l’étirer à mort, le filtrer, le resampler pour en faire une basse ou une percussion. C’est un puzzle sonore.
Cette approche rappelle certains producteurs comme Molécule. Ton intention est-elle justement d’aller jusqu’au bout du concept, en ne travaillant qu’avec ces matériaux uniques ?
C’est le but. Le concept, c’est que tout vient du field recording. Pas de kick Splice, pas de snare d’Ableton. Par exemple, j’ai enregistré une voiture qui passe très vite. J’ai filtré le sample pour ne garder que les basses, je l’ai étiré au maximum, puis j’ai remis ça dans un synthé pour jouer une ligne de basse. Mais à la base, c’est juste un moteur qui passe.
Ce que j’aime, c’est que ces sons ne peuvent pas être refaits. Si tu n’as pas été là, au moment où j’ai appuyé sur Rec, tu ne pourras jamais recréer exactement le même matériau.
Ensuite, sur ma chaîne YouTube, je ferai un épisode par track pour montrer comment je passe de « bruit de train » à « kick principal de la track ». Les producteurs pourront décortiquer tout ça.
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Au-delà de tes voyages, qu’est-ce qui nourrit ta musique aujourd’hui, côté influences sonores ou artistiques ?
Quand tu fais de la techno, c’est très facile de ne plus écouter que ça. Au début, je faisais ça : uniquement de la techno, de la hard, de la French. J’écoutais en boucle des artistes comme Le Wanski, Vortek’s, pour comprendre comment ils produisaient aussi bien.
Aujourd’hui, j’essaie justement de m’en éloigner un peu pour ne pas tourner en rond. J’écoute beaucoup de dub, de reggae, de rock… C’est là que tu trouves des idées qui ne sont pas encore sur-exploitées en club, que tu peux adapter à ta sauce.
En musique électronique, les trois artistes que j’écoute le plus restent Daft Punk, Justice et Tame Impala. Daft Punk, pour le classique absolu. Justice, pour le côté plus expérimental, les riffs, les textures. Et Tame Impala, c’est l’OVNI : Kevin Parker joue tous les instruments, il a des toplines de fou. Son dernier album m’a surpris à la première écoute, je me suis même dit « je ne sais pas trop », puis je me suis forcé à y revenir… et maintenant je suis accro.


Quand tu joues, tu parles d’ « expérience » plutôt que de simple concert. Que veux-tu faire vivre au public exactement ?
Ce que j’adore, c’est ce moment où les gens ne bougent pas tant que ça, mais sont complètement happés. Au début d’un set très mélodique, tu peux te dire : « Mince, ils ne réagissent pas beaucoup. » Et après coup, tu entends : « On était en transe. »
C’est exactement ce que je cherche : d’abord les mettre dans un état d’écoute, de concentration, de voyage intérieur, puis basculer progressivement vers quelque chose de plus physique, plus hard, avec des gros kicks, des trucs expérimentaux.
L’idée, c’est de montrer tout ce que je peux faire en techno avec les morceaux que j’ai sortis ces cinq dernières années, sans me limiter à une seule facette.
Et cette idée d’expérience semble déjà mener à la suite. Tu travailles sur un nouveau live pour 2026/2027 : ce sera une évolution naturelle ou une rupture totale avec ce que tu fais aujourd’hui ?
Les deux. Il y aura une continuité musicale, parce que certaines tracks resteront, surtout celles liées aux voyages. Mais ce sera un tournant dans la forme. Ce ne sera plus « j’arrive, je branche une clé USB, c’est parti ».
Je veux enfin aligner son et image. Que chaque morceau ait son univers visuel, sa boucle vidéo, sa mise en scène. Pour les morceaux issus des voyages, c’est presque naturel : projeter des images du train mauritanien pendant que résonnent les sons captés là-bas, ça raconte tout de suite quelque chose.
L’objectif, c’est que les gens n’aient plus l’impression de voir seulement un DJ, mais d’entrer dans un monde complet. Une vraie expérience, au sens plein du terme.







