En trois ans, Hortense de Beauharnais s’est imposée comme l’un des visages les plus sincères de la scène techno française. Portrait d’une DJ qui a trouvé sa place dans le chaos
Trois ans à peine après ses premiers sets, Hortense de Beauharnais coche déjà des cases que d’autres poursuivent une décennie. Garorock, HÖR, des dates au Canada, un passage par l’Inde, puis La Réunion — et une agence solide derrière elle. L’ascension a été rapide, mais pas hasardeuse. « Je n’ai pu arrêté de travailler à la banque qu’en juin. Après trois ans d’efforts, je peux enfin vivre de ma passion », résume la Girondine. Dès novembre, elle bascule en intermittence. Le pas est assumé, l’ambition claire.
Avant les platines, la danse. Prof de dancehall, clubbeuse assidue, Hortense a d’abord vécu la musique depuis le dancefloor. « Je sortais pour danser, pas pour mixer. » Le déclic arrive tard, au contact d’un cercle d’amis bordelais qui lui montre les bases. Un mois plus tard, première date, puis une deuxième. La troisième sera un vertige : « Mon premier Hangar FL [un ancien club bordelais, NDLR]… j’ai cru que j’allais m’évanouir. Je me répétais : “Tu n’es pas DJ, qu’est-ce que tu fais là ?” » Le syndrome de l’imposteur tiendra encore quelques temps ; les bookings, eux, s’enchaînent.
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Un alias qui raconte une histoire
Hortense progresse d’abord seule, sans collectif ni agence, quatre à cinq dates par mois dans le Sud-Ouest. Elle passera par We Are Rave, puis le collectif Tape, avant de rejoindre AMD en 2025. « Je suis entourée d’une superbe agence désormais, ça change tout », dit-elle, lucide sur le rôle des équipes. Une lucidité qui n’empêche pas la franchise : « Les opportunités, c’est aussi des gens qui te font confiance. » L’agence pousse, la scène répond, et l’effet boule de neige devient trajectoire.
Son alias, lui, raconte autre chose : une passion d’enfance pour l’histoire, un prénom rare, et un clin d’œil à l’impératrice. « J’ai tapé “Hortense connue” sur Internet au collège. Hortense de Beauharnais sonnait bien. » L’histoire, encore, irrigue son imaginaire ; elle a fait une année de fac, « trop fatiguée » par un job de nuit pour suivre. « Je ne sais pas si je voulais être prof d’histoire ou si j’aimais simplement l’histoire. » Reste un attachement aux récits, à la mémoire, à la façon dont une identité se raconte et se transmet. Quinze ans de catéchisme aussi, une famille prudente avec l’instabilité supposée des métiers artistiques. « Mes grands-parents minimisaient un peu. Pour eux, même si je gagnais très bien, il faudrait un travail “stable” à côté. » Le présent les détrompe, doucement.
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Le rêve berlinois devenu réalité
Sur scène, Hortense refuse les cases étanches. Elle cite la techno, l’EBM, la psytrance, des touches bouncy ou trance, l’envie de « faire danser » sans aligner banger sur banger. « Je n’aime pas quand on sait exactement ce qui va arriver. J’ai envie qu’on se perde un peu dans la musique. »
L’un des moments charnières de cette recherche est passé par HÖR, la fameuse cabine jaune vitrée berlinoise qui fait aujourd’hui figure de rite de passage pour toute une génération de DJ. « Pour moi, c’était un objectif, presque un rêve. Je pensais que ce n’était pas atteignable », confie-t-elle. Elle y prépare son set comme une carte d’identité musicale : « Vingt premières minutes entre EBM et techno “normale”, ce qui me ressemble, puis mes trois tracks, un peu de hard-bouncy, avec l’envie de faire découvrir des styles en dehors de la hartechno. »
HÖR, c’est aussi le symbole d’une bascule, celle du passage de l’underground local à la visibilité internationale. « Ça m’a fait du bien de me voir là, de me dire que j’avais ma place. » L’exposition, elle le sait, peut être à double tranchant — mais elle l’assume : « Tant que je reste fidèle à ce que je joue, ça me va. »
Sur scène, l’énergie comme moteur
Côté studio, Hortense avance avec méthode et détachement. « J’ai compris qu’un morceau n’a pas besoin d’être parfait pour exister. L’important, c’est d’apprendre à chaque fois, et d’en faire un autre derrière. » Si ses premières sorties, plus dures, lui ont servi de tremplin, aujourd’hui elle affine sa ligne grâce à ses nouvelles machines : des vocaux sensuels, presque « bitchy », posés sur des bases techno ou hard-bouncy, qu’elle prévoit de montrer sur son prochain EP.
La scène, elle, reste le moteur. Ses rituels sont simples : silence, concentration, une canette « Red Bull myrtille » — « J’ai du mal à parler la demi-heure avant de jouer. » Le stress revient à chaque date, « moins sur ce que je vais faire que sur le matériel ». Et la mémoire garde des images nettes : la V10 découverte juste avant son premier Insane grâce à un tuto YouTube, le soleil sur les platines, l’adrénaline. Garorock, au contraire, lui donne la foule, la lumière, la joie visible. « À Garo, tu vois les visages. L’énergie était folle. »
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Une vision lucide de la réussite
Cette énergie, elle la cherche aussi ailleurs. Au moment de notre entretien, l’Inde l’attend, avec la promesse d’un public incandescent. « On m’a dit que là-bas, chaque soirée est vécue comme un festival. J’ai envie d’un public impliqué. » Elle sourit d’un paradoxe : avoir encore peu tourné en Europe mais être déjà partie à Montréal, prête pour l’Asie et l’océan Indien. « Aujourd’hui, jouer à l’étranger donne de la crédibilité ici. Les promoteurs se disent : si elle est bookée là-bas, c’est que ça vaut le coup. »
Ses références glissent de Daria Kolosova à VTSS, en passant par des productrices voix-machines comme Bianco. Ses objectifs ? Concrets, mesurés. « Je ne me projette pas trop loin pour ne pas être déçue. Dour me fait plus rêver que Tomorrowland, même si je sais que c’est un cap. » Au fond, l’ambition tient en une image : « Un festival blindé », et la famille dans le public. « Si je joue Tomorrowland, j’emmène ma mère et mes grands-parents. »
Entre contrôle et lâcher-prise
Hortense garde la tête froide, nourrit l’endurance. « Au début, tu fais des plans galère. Dormir dans un dortoir, enchaîner club-aéroport sans dormir, prendre un Flixbus pour attraper un vol… C’est le jeu. » Aujourd’hui, le cadre est plus solide, les riders respectés, les hôtels sûrs. L’exigence, elle, ne bouge pas. « Je veux progresser. Et partager. » Partager quoi ? « Du temps, de l’énergie, et des cadeaux pour ma famille, parce que c’est aussi grâce à eux. »
Si une phrase devait rester, ce serait peut-être celle-ci : « Je me sens à ma place. C’est le seul métier où je fais quelque chose qui me plaît vraiment et où la fatigue est une bonne fatigue. » L’autre phrase, plus intime, pointe un rendez-vous manqué avec la danse qui a façonné sa détermination : « À l’époque, j’ai eu peur et j’ai laissé passer ma chance. Cette fois-ci, je ne lâcherai pas. »
Entre contrôle et lâcher-prise, Hortense de Beauharnais avance à son rythme — rapide. Une artiste de scène qui n’a pas peur de ralentir, parfois, pour mieux durer. Et qui sait déjà ce qu’elle veut offrir à son public : des montagnes russes où l’on se perd, où l’on crie, où l’on danse — et où l’on se souvient. « Je veux des moments où l’on s’implique vraiment. » Le reste suivra.