Ben Klock et Fadi Mohem sculptent un monde post-humain avec Layer One, un album fascinant à découvrir. Leur interview exclusive vous attend dans le prochain numéro de DJ Mag.
Dans Layer One, Ben Klock et Fadi Mohem ne nous racontent pas une histoire. Ils sculptent des espaces, des interstices sonores où l’humain vacille et disparaît, laissant place à un univers d’après. L’idée n’est pas neuve : la finitude de l’Homme fascine autant qu’elle effraie. Mais ici, sous la houlette des deux magiciens de la techno berlinoise, elle devient tangible. Layer One n’est pas un simple album : c’est une méditation, une thèse sonore sur ce qui persiste quand nous ne sommes plus là.
En dix morceaux, le duo brosse un tableau post-humain. Le cadre est posé dès Ultimately – introduction lancinante où la voix grave et désincarnée de Coby Sey semble flotter dans un vide immense. Une plainte ? Une promesse ? L’ambiguïté est totale, et elle le restera. L’album ne cherche jamais à s’expliquer. Il suggère, murmure, et laisse l’auditeur combler les brèches avec ses propres angoisses.
La techno après la techno
Depuis longtemps, la musique électronique est associée au futurisme. Mais ici, Ben Klock et Fadi Mohem dépassent les clichés des beats martelés et des machines agressives. Ils déconstruisent la techno, la dépouillant de son rôle habituel : il ne s’agit plus de faire danser, mais de contempler. Layer One est traversé par des échos industriels, des nappes ambient glaciales et des rythmes minimalistes qui évoquent moins un club bondé qu’une usine désaffectée.
Prenez Escape Velocity. Ce morceau, au titre emprunté à l’astronomie, incarne parfaitement le concept central : la fuite d’une gravité humaine. Le rythme est mécanique, presque organique, comme si les machines elles-mêmes respiraient dans une lente agonie. Et pourtant, il y a quelque chose de beau dans cette austérité, une poésie de l’abandon.
La voix des survivants
Le post-humain, chez Ben Klock et Fadi Mohem, n’est pas complètement silencieux. Des voix surgissent – mais ce ne sont pas des voix comme les nôtres. Flowdan, sur Our Sector, ne déclame pas : il martèle. Ses mots sont des fragments, des slogans d’un temps qui se cherche encore un sens. À l’opposé, la douceur éthérée de Coby Sey sur Clean Slate et Ultimately est presque fantomatique. Est-ce l’écho d’un passé, ou le murmure d’une IA tentant maladroitement d’imiter ce qu’elle croit être une émotion humaine ?
Ces interventions vocales ajoutent une texture unique à l’album. Elles rappellent que, même après nous, il reste des traces – pas de nous, mais de ce que nous avons laissé. Les machines parlent, mais elles ne racontent pas nos histoires. Elles en fabriquent de nouvelles, étrangères, dérangeantes.
Un monde d’après
L’idée du post-humain est souvent traitée avec cynisme ou effroi, mais les deux DJs et producteurs évitent ces écueils. Ils ne jugent pas. Ils ne disent pas si l’absence de l’Homme est une perte ou un gain. Layer One est remarquablement neutre dans son ton. Restrained, par exemple, joue sur une tension constante, sans jamais exploser. On s’attend à une libération cathartique qui ne vient pas. Et c’est précisément là que réside la puissance de l’album : dans cette retenue, cette ambiguïté.
Dans The Vanishing, les nappes synthétiques s’entrelacent comme les derniers soupirs d’un organisme mourant. Puis, vient Melatonin, conclusion douce-amère, presque apaisante. Comme si, après tout, ce monde sans nous pouvait être calme, beau, équilibré.
La techno comme philosophie
Avec Layer One, Ben Klock et Fadi Mohem prouvent que la techno peut être bien plus qu’un simple genre musical. Elle peut être une réflexion, un laboratoire d’idées, un espace où des concepts complexes – comme celui du post-humain – peuvent être explorés sans discours, juste par le son.
Leur musique nous pousse à nous questionner : qu’est-ce qui reste de nous, une fois nos corps partis ? Les architectures que nous avons bâties ? Les machines que nous avons créées ? Ou est-ce que tout cela, au final, devient autre chose, un Layer supplémentaire dans un monde qui n’a plus besoin de nous ?
La force de cet album réside dans son refus de simplifier. Il ne donne pas de réponse, parce qu’il n’y en a pas. Tout comme le concept même du post-humain, Layer One est un exercice de projection : un miroir tendu vers un futur incertain, où ce que nous voyons reflète davantage nos propres peurs et espoirs que la réalité d’un monde sans nous.
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