Les tournées de DJ explosent les compteurs carbone. Dans son dernier rapport, Clean Scene alerte sur l’urgence climatique d’un secteur à repenser collectivement, chiffres à l’appui.
Dans un monde post-pandémique qui tente de se remettre à danser, l’industrie du clubbing se retrouve face à un paradoxe climatique. Le rapport Last Night a DJ Took a Flight, mené par Clean Scene, dresse un état des lieux sans appel : la tournée mondiale de DJ est devenue une habitude aussi lucrative qu’écologiquement insoutenable. « Ce rapport est né de la nécessité de comprendre l’impact de notre industrie sur la planète », expliquent les auteurs. Et le constat est glaçant.
51 000 vols, 35 millions de kilos de CO₂
En analysant les données de tournée des 1000 DJs les plus actifs selon Resident Advisor pour l’année 2019, Clean Scene a recensé 51 000 vols, 117 millions de kilomètres parcourus, 3,2 millions de litres de carburant consommés, et 35 millions de kilos de CO₂ émis dans l’atmosphère. « Cela équivaut à l’électricité de 20 000 foyers pendant un an, à l’énergie nécessaire pour 8 000 festivals de trois jours, ou encore à la fabrication de 25 millions de disques vinyles. »
Chaque DJ étudié a ainsi une empreinte carbone moyenne de 35 tonnes de CO₂ par an, soit 17 fois plus que le budget carbone annuel recommandé par le Giec, fixé à 2 tonnes par personne. En comparaison, les « super-emitters » — les voyageurs les plus fréquents dans le monde — se situent autour de 56 000 km/an. « Le DJ moyen du top 1000 dépasse ce chiffre de moitié, avec 118 000 km annuels. »
Une minorité responsable d’une majorité des émissions
Clean Scene souligne une inégalité flagrante : « L’empreinte carbone des 10 DJs les plus actifs équivaut à celle des 207 les moins actifs. » Le rapport pointe du doigt une ultra-concentration des tournées qui reflète, à l’échelle réduite de la musique électronique, la répartition injuste des émissions globales. Une étude d’Oxfam citée dans le document rappelle que « les 10 % les plus riches de la population mondiale sont responsables de la moitié des émissions de gaz à effet de serre. »
Les chiffres du rapport s’inscrivent également dans un contexte global de surconsommation. En 2018, seuls 11 % des humains avaient pris l’avion, et 4 % avaient volé à l’international. Pourtant, cette minorité de voyageurs représente une part écrasante de la pollution liée à l’aviation.
Repenser les tournées, collectivement
Pour Clean Scene, l’urgence n’est pas à la culpabilisation individuelle mais à l’action collective. « Nous ne blâmons pas les artistes — ce rapport s’adresse à toutes les parties prenantes de l’industrie musicale, à qui nous demandons d’engager une conversation sérieuse. »
Le collectif propose une série de pistes concrètes : favoriser les artistes locaux, repenser les clauses d’exclusivité, mutualiser les tournées pour limiter les trajets aériens, ou encore créer des réseaux d’agences écoresponsables. « Les promoteurs devraient réserver plus tôt et collaborer avec d’autres organisateurs proches géographiquement pour planifier des week-ends de tournée rationalisés. »
L’environnement, enjeu politique de la fête
Au-delà de la logistique, Clean Scene rappelle que les problématiques environnementales sont aussi des enjeux de justice sociale. « Les structures de pouvoir dominantes, ancrées dans une logique de profit à tout prix, sont responsables de notre urgence climatique. » Les communautés les plus vulnérables, souvent à l’origine des cultures musicales que célèbre la scène électronique, en paient aujourd’hui le plus lourd tribut. « Nous devons nous demander : comment notre scène peut-elle garantir que les communautés marginalisées prospèrent également dans cette transformation ? »
Un appel à la responsabilité et à la créativité
Pour Clean Scene, ce rapport n’est qu’un point de départ. Le collectif a ouvert un canal Slack pour réunir les acteurs du secteur, met à disposition un modèle de « green rider » pour les artistes, et recommande d’utiliser des plateformes comme Atmosfair pour compenser les émissions.
« Nous espérons que les données contenues dans ce rapport vous choqueront (comme elles nous ont choqués) et qu’elles deviendront un levier de changement », concluent les auteurs. « Au lieu de détourner l’attention, rêvons le changement et travaillons ensemble à sa concrétisation. »