Il faut parfois peu de chair pour exprimer l’humanité. Dans le cas de Client_03 et son « Testbed Assembly », aucune, même. Depuis ses premières transmissions confidentielles sur le label Astrophonica, le projet anonyme n’a cessé de nous fasciner, entre mythologie machinique et narration fragmentée, jusqu’à ce nouveau point culminant : un triple album labyrinthique, augmenté d’un spectacle audiovisuel complet, d’un artbook et même d’une performance en réalité augmentée prévue le 7 juillet.
Derrière la froideur de l’intelligence artificielle se glisse une émotion voilée : celle d’un être-machine qui, en niant toute émotion, en dit long sur nos propres dissonances contemporaines. « You are a machine » scande la voix synthétique de l’intro, comme un mantra déshumanisé, d’où s’échappent pourtant des éclats d’angoisse existentielle. C’est une entrée en matière limpide pour un disque qui explore l’humain à travers les yeux — ou plutôt les capteurs — d’un agent en fin de cycle.
Les 15 titres, tous nommés comme des fonctions systèmes ou modules défaillants (« Image Connector Demonstration », « EmergencyCalibrationPageToDisk », « ImitationAssemblyVolume »), déroulent un monde sonore où l’électro froide flirte avec les glitchs organiques, où la rave est filtrée à travers une conscience algorithmique. Collaborations notables avec James Shinra (« Decommission Me ») et Lorn (« The Last Human ») injectent des élans mélodiques profonds, presque mélancoliques, dans l’ossature pourtant rigide de l’album.
Ce qui frappe, c’est l’équilibre millimétré entre abstraction digitale et groove mutant : chaque beat semble calculé, chaque rupture rythmique opérée comme une décision rationnelle — mais le corps, lui, répond sans hésiter. Sur « OptimismOutputNode » ou « Responsibility Optimization », on danse en ayant l’impression de naviguer à l’intérieur d’un BIOS corrompu.
Pensé comme une œuvre totale, « Testbed Assembly » se prolonge sur scène via une série de lives A/V à Londres (Corsica Studios, Drumsheds, Earth Hackney), Bristol, Manchester, et même à Tresor Berlin. L’album devient alors le noyau d’un univers immersif, polymorphe, qui dépasse le simple cadre musical pour se faire installation, narration interactive, expérience sensorielle.
Il serait vain de chercher qui se cache derrière Client_03 — la disparition de l’auteur dans l’interface fait partie du propos. En revanche, on peut affirmer sans hésiter que « Testbed Assembly » est l’un des projets électroniques les plus intrigants et cohérents de l’année. Une dystopie sonore d’une précision clinique, mais traversée d’échos profondément humains. Car même si « you feel nothing », cette machine-là n’est pas vide. Elle nous renvoie juste le reflet de nos propres bugs.
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