Recondite sort Indifferent, son dernier album

Recondite : « Cet album ne suit pas les tendances extrêmes du marché »

Publié le 17 octobre 2024

À l’occasion de la sortie de son album Indifferent le 18 octobre, Recondite s’est confié en interview à DJ Mag.

Depuis plus d’une décennie, Recondite s’est imposé comme une figure incontournable de la scène électronique mondiale. Originaire d’Allemagne, cet artiste prolifique est reconnu pour sa capacité à créer des atmosphères sonores captivantes et immersives, alliant techno mélodique et minimalisme sophistiqué. Ses morceaux, souvent empreints d’une profonde sensibilité, naviguent entre force et fragilité, reflétant une recherche constante d’équilibre et d’émotion. À l’approche de la sortie de son nouvel album Indifferent le 18 octobre, Recondite nous livre une réflexion intime sur son processus créatif, son évolution artistique post-pandémie et sa volonté de rester fidèle à ses propres inspirations dans un univers musical en perpétuelle transformation.

DJ Mag : Ta musique a toujours eu cette capacité unique à capturer des émotions complexes et à naviguer dans des atmosphères à la fois profondes et subtiles. Qu’est-ce qui t’a inspiré et motivé pour ce projet ?

Recondite : L’idée principale pour ce projet est née du moment où j’ai recommencé à jouer en live après la période de pandémie de Covid-19. C’était fascinant d’observer comment la scène musicale avait évolué, que ce soit dans les festivals, les clubs ou les divers événements. La musique jouée avait changé de façon notable, et cela se ressentait dans les différents mouvements qui émergeaient. J’ai remarqué que la musique qui dominait n’était plus vraiment en phase avec mes goûts personnels. Les styles se divisaient principalement en deux pôles : d’un côté, il y avait une techno très dure, rapide, avec des énergies extrêmement élevées, et de l’autre, une musique beaucoup plus douce, profonde et lente, souvent influencée par une ambiance pop et très axée sur les émotions.

Ce changement m’a amené à réfléchir sur la manière dont, il y a dix ans, ma carrière se déroulait dans une zone d’équilibre entre ces deux extrêmes. Je pouvais alors mélanger des éléments mélodiques, plus lents et profonds, avec une approche plus dure et techno, ce qui me permettait de jouer sur des scènes diverses et avec des artistes de différents horizons. Aujourd’hui, cet équilibre semble moins présent. La demande du public pour des expériences musicales extrêmes – soit très dures, soit très douces – est toujours en hausse. Cet aspect m’a fait réaliser que mon style, qui se situait souvent dans une zone intermédiaire, ne trouvait plus autant sa place dans cette nouvelle dynamique.

Je me suis rendu compte que ma musique, tout comme ma personnalité, aime ces nuances de gris. Je n’ai jamais cherché à être radical ou extrême dans un sens ou dans l’autre, mais plutôt à explorer ce qu’il y a entre les deux. Cet album reflète cette approche plus nuancée et sophistiquée. Il ne suit pas les tendances extrêmes du marché musical.

Dans Indifferent, on trouve un mélange de force et de fragilité. Comment as-tu créé cette atmosphère puissante mais retenue ?

J’ai simplement suivi mes préférences personnelles et essayé de rester fidèle à mon approche musicale. Par exemple, dans un morceau comme « Tide », on trouve une longue pause au milieu, une structure qui nécessite une certaine ouverture d’esprit. Ce n’est pas une montée typique EDM mais une progression plus patiente et subtile. J’aime l’idée de créer des moments de pause dans mes morceaux, des moments qui permettent à l’auditeur de respirer et de se laisser emporter. C’est quelque chose que j’apprécie aussi dans mes sets live, où je joue souvent avec ces dynamiques. J’ai cherché à adapter mon design sonore pour qu’il reste puissant tout en conservant cette qualité de retenue sur les nouveaux systèmes son des festivals et clubs.

Comment traduis-tu cette idée d’indifférence dans la façon dont les morceaux sont construits ?

Indifferent représente cette idée de trouver un juste milieu, de ne pas tomber dans les extrêmes. C’est une philosophie que j’applique aussi dans ma vie quotidienne. J’observe souvent la manière dont la société et la politique ont tendance à se diviser, à s’éloigner dans des positions de plus en plus polarisées. Personnellement, je préfère trouver des compromis, des solutions qui rassemblent plutôt que de séparer. C’est cette même approche que j’ai transposée dans ma musique. Je m’efforce de rester dans cet espace entre les pôles, là où les choses sont plus subtiles et nuancées, et où il y a encore de la place pour l’interprétation.

“Je préfère trouver des compromis, des solutions
qui rassemblent plutôt que de séparer”

Cela fait partie de ma démarche depuis longtemps. Que ce soit avec l’album Iffy sur Innervisions, qui évoque aussi cette notion d’indécision, ou avec Daemmerlicht, qui explorait l’état intermédiaire entre le jour et la nuit, mon travail s’est toujours orienté vers ces espaces flous, ces zones où les frontières sont moins nettes. C’est dans ces moments de transition que je trouve une source d’inspiration inépuisable, et c’est aussi ce que j’ai voulu capter dans Indifferent.

En conclusion, je dirais que cet album est à la fois une exploration personnelle et une réponse à ce que je ressens vis-à-vis de la scène musicale actuelle. Il reflète ma volonté de rester fidèle à mon propre goût, même si cela signifie aller à contre-courant des tendances actuelles. Mon but n’était pas de suivre une mode, mais de créer quelque chose qui me ressemble vraiment.

Quand tu travailles sur des morceaux comme “Atma” ou “Introspect”, te laisses-tu porter par une émotion particulière, ou essaies-tu de rester dans un état d’indifférence pour laisser la musique parler d’elle-même ?

Dans l’idéal, je cherche à laisser la musique se développer sans interférence consciente. Je crée sans plan précis ni objectif défini, me laissant guider par le moment. Je préfère ne pas me fixer de direction et permettre aux idées de naître librement. C’est seulement après, lorsque j’écoute le morceau final, que je l’analyse sous un angle plus technique pour m’assurer qu’il fonctionne bien dans différents contextes, comme les clubs ou les festivals. Cette liberté créative est cruciale pour moi, car je veux que la musique soit le reflet direct de mon ressenti, sans être déformée par des attentes extérieures.

Ta musique se distingue souvent par ses textures riches et ses atmosphères sophistiquées. Qu’as-tu exploré de nouveau dans Indifferent qui n’était pas présent dans tes travaux antérieurs ?

Pour Indifferent, j’ai voulu sortir de ma zone de confort en utilisant des outils et des sonorités inédites pour moi. J’ai expérimenté avec des synthétiseurs plus modernes comme Serum, pour créer des sons plus aigus et percutants, ce qui donne une dimension plus tranchante à certains morceaux. Sur « Shun », j’ai incorporé un riff de guitare subtilement influencé par le heavy metal, une première dans ma carrière. J’ai aussi travaillé sur un design sonore plus sec et minimaliste, notamment dans le morceau « Dig », où la basse est particulièrement épurée. Ces nouvelles techniques m’ont permis d’apporter une touche différente à mon univers musical, tout en restant fidèle à cette recherche d’équilibre entre force et subtilité.

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Comment arrives-tu justement à maintenir cette force retenue, sans tomber dans une intensité trop évidente ?

C’est une excellente question. Pour moi, l’un des défis les plus passionnants est de créer une musique qui soit à la fois puissante et subtile, sans jamais devenir trop évidente ou excessive. Et la clé réside dans la maîtrise du design sonore. Sur scène, l’impact d’un morceau dépend souvent de petits ajustements techniques qui permettent de rendre un son plus percutant tout en restant subtil. J’ai souvent retravaillé les morceaux de Indifferent une dizaine de fois après les avoir joués en live, modifiant légèrement les basses ou les percussions pour maximiser leur efficacité sans sacrifier leur retenue. Ce processus de raffinement constant vise à créer une expérience qui soit à la fois puissante et mesurée, capturant l’attention du public sans recourir à des artifices trop évidents ou exagérés. C’est un équilibre délicat, mais c’est là que réside la véritable force de ma musique.

A ce propos, comment gardes-tu ton intégrité musicale intacte tout en étant exposé aux tendances actuelles qui poussent souvent vers une musique plus accessible et commerciale ?

C’est une lutte quotidienne, mais mon désir de rester fidèle à ma vision artistique est plus fort que l’envie de me conformer aux attentes du marché. J’ai ce filtre très fin à travers lequel je passe toutes mes idées musicales : je ne crée que ce que je ressens profondément. Même si cela signifie aller à contre-courant des tendances actuelles, je préfère être en accord avec moi-même plutôt que de faire des compromis sur la qualité ou l’authenticité de ma musique. Mon objectif n’est pas de plaire à tout le monde, mais de rester sincère et fidèle à mon propre goût, même si cela limite parfois mon public.

“Mon objectif n’est pas de plaire à tout le monde,
mais de rester sincère et fidèle à mon propre goût,

En tant qu’artiste, comment gères-tu la pression de la créativité continue, surtout après avoir travaillé intensément sur un album comme Indifferent ?

Après avoir consacré tant d’énergie à un projet, il est naturel de ressentir une sorte de vide créatif. Pour moi, la clé est d’accepter ce sentiment de ne pas vouloir créer, sans forcer quoi que ce soit. Je me permets de ne pas être productif et je m’accorde le temps nécessaire pour retrouver l’inspiration. Cette attitude ouverte me permet de préserver ma créativité et de ne pas me laisser submerger par la pression de toujours produire du nouveau. Je crois fermement que la qualité artistique naît dans ces moments où l’on n’est pas sous contrainte, où la musique se crée d’elle-même, sans effort ni obligation.

Penses-tu que la tendance actuelle est là pour durer, ou vois-tu déjà des signes de changement ?

La musique électronique a toujours eu cette capacité à évoluer et à intégrer des éléments plus commerciaux, et je pense que cette tendance continuera. Cependant, je perçois déjà un retour à des sons plus subtils et nuancés, à une esthétique qui privilégie l’authenticité et la profondeur. Les cycles musicaux sont toujours en mouvement, et tout comme la techno hardcore a laissé place à une phase minimaliste dans les années 2000, je crois que l’industrie pourrait bientôt s’ouvrir à nouveau à des approches moins polarisées et plus équilibrées.

Qu’espères-tu que Indifferent apporte aux auditeurs ?

J’aimerais qu’ils trouvent une sorte de réconfort dans les nuances de gris, tant dans la musique que dans leur manière de voir le monde. Nous vivons à une époque où tout tend à se diviser, à devenir noir ou blanc, extrême ou tranché. Avec cet album, je veux offrir une alternative, une zone de transition où l’on peut apprécier la subtilité et la complexité, sans devoir choisir un camp. C’est une invitation à écouter attentivement, à ressentir ces moments intermédiaires qui sont souvent négligés dans notre quête d’expériences fortes et marquées. J’espère que cette approche pourra résonner au-delà de la musique, dans les interactions humaines et la façon dont nous percevons les différences autour de nous, où les réponses ne sont pas toujours évidentes, mais où chaque nuance a sa propre valeur et signification.

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