Avec « Mute », Jan Blomqvist signe un album plus structuré et introspectif. Entre collaborations, tournée millimétrée et passion pour la scène, il revient sur son parcours et sa quête d’authenticité musicale.
Jan Blomqvist n’a jamais été du genre à crier plus fort que les autres. Avec « Mute », il affine encore son approche : une musique plus précise, une tournée millimétrée, un regard plus posé sur son époque. Loin du tumulte des tendances éphémères, il revendique une démarche réfléchie, où chaque note, chaque silence a son importance. Entre collaborations et introspection, il raconte son besoin de ralentir, de retrouver du sens et de réconcilier la scène avec une vision plus épurée de son art.
Parle-nous de Mute. Quel a été le point de départ de cet album ?
On a commencé il y a environ deux ans avec Felix, mon partenaire de studio à Berlin. Maintenant, je vis entre la Suisse et Ibiza. On produit en permanence, sans réel point de départ. À un moment, certains morceaux forment un concept, et on les complète pour arriver à 10-14 titres. « Destination Lost », en collaboration avec Rodriguez Jr., a été le premier morceau et a défini la direction de l’album. C’est différent des EP et des sorties sur d’autres labels. J’ai aussi lancé Disconnected et voulais que mon album en soit la première grande sortie.
Le titre évoque le silence, mais aussi le besoin de faire une pause ou de prendre du recul. Est-ce une métaphore de notre époque ou une réflexion plus personnelle ?
C’est une réflexion personnelle. J’aime les albums conceptuels. Depuis « Remote Control », je m’interroge sur notre génération, la première à avoir grandi avec les réseaux sociaux, sans guide ni repères. Tout le monde est tombé dans leurs pièges, et chacun a vécu au moins une mauvaise expérience. Mes premiers albums parlaient déjà de cette confusion numérique. Toujours cette impression d’être pris dans des situations folles – fake news, harcèlement, mobbing, ce genre de choses.
Après le COVID, j’ai pris du recul. J’ai grandi en tant qu’artiste et veux être plus réfléchi dans mes propos. Aujourd’hui, je n’ai plus envie de crier. Ma génération, née dans les années 80-90, devrait analyser son parcours, penser l’avenir et éviter de s’exprimer sans recul.
Avec cet album, voulais-tu apporter une solution ou simplement poser une question ?
Mes textes sont axés sur la réflexion. Pour moi, l’art commence là où le langage s’arrête, et les paroles sont un moyen de refléter la société. Trouver des solutions relève des visionnaires ou des politiciens. Je sais que beaucoup sont déçus par eux, mais il serait dangereux de transférer cette responsabilité aux artistes. Chacun a un rôle à jouer.
Peut-on parler d’une suite de « Disconnected » ? Qu’est-ce qui les différencie ?
Bien sûr. « Mute » est plus précis et structuré. Les morceaux sont plus courts, certains font 3 min 30, ce qui n’était pas mon intention, mais s’est imposé naturellement. « Disconnected » était plus expérimental, avec une approche plus libre. « Mute » suit une ligne claire, fluide, et forme un ensemble cohérent du début à la fin. Là où mes premiers albums surprenaient par des changements soudains, « Mute » crée une atmosphère continue. En live, cette cohérence se ressent et donne une vraie force au concert. Le show fonctionne mieux et je suis très satisfait du résultat.
Ta musique est très introspective. Dirais-tu qu’elle est comme un livre de développement personnel ?
Ceux qui suivent ma musique depuis longtemps peuvent y lire toute mon évolution. Chaque album reflète une période de ma vie, mes questionnements et mes apprentissages. J’ai besoin que ma musique soit personnelle et sincère, sinon je ne pourrais pas être authentique sur scène. C’est ce lien entre mes émotions et mes morceaux qui me permet d’être un interprète honnête et d’avoir un échange réel avec le public.
Y a-t-il un morceau sur « Mute » qui signifie plus pour toi que les autres ?
« Destination Lost » compte beaucoup, notamment parce que c’est une collaboration avec Rodriguez Jr. Avec Olivier, nous nous sommes souvent dit que nos musiques étaient assez similaires et qu’on pourrait faire quelque chose ensemble un jour. Je suis vraiment heureux que ça ait enfin pu se concrétiser.
Mais mon morceau préféré est « Underwater ». D’habitude, je pense qu’un morceau doit être finalisé en une semaine, sinon il n’est pas bon. Pourtant, « Underwater » m’a pris deux ans à terminer, et je l’aime toujours autant. C’est une exception qui confirme la règle !
À propos des collaborations. Certains auditeurs pensent qu’elles rendent les albums impersonnels. Qu’en penses-tu ?
Je comprends ce point de vue, mais pour moi, collaborer est essentiel. On apprend énormément en travaillant avec d’autres musiciens. Dans la musique électronique, l’évolution est constante : chaque année, de nouvelles technologies émergent et transforment la production.
Travailler avec Rodriguez Jr. ou Natascha Polké m’apporte des techniques que je ne connais pas, et je leur partage aussi les miennes. Cet échange est précieux et pousse la musique plus loin. Cela permet aussi de prendre du recul sur son propre travail. Quand on passe trop de temps seul en studio, on perd en objectivité et on peut croire qu’on fait quelque chose d’incroyable alors qu’on tourne en rond.
On dit de toi en studio que tu es perfectionniste. Comment acceptes-tu qu’un morceau est fini ?
J’aimerais bien savoir qui dit ça… Peut-être mon partenaire de studio ! (Rires) Il s’agace parfois quand je refuse de finaliser un morceau trop vite. Avec 20 ans d’expérience, j’ai appris qu’il faut savoir lâcher prise. Mais je ne suis jamais totalement sûr du bon moment. Je me force à le laisser partir, comme un enfant qui quitte la maison. Trop retoucher un morceau peut finir par le détruire plutôt que l’améliorer.
Tu as déjà exprimé un avis positif sur le rythme effréné des sorties de singles, qui domine aujourd’hui l’industrie musicale. Pourtant, certains pensent que cela fait baisser le niveau de production et rend même le format album obsolète. Que dirais-tu aujourd’hui ?
J’en suis toujours convaincu, même si ce que j’ai dit avant pouvait sembler un peu froid. Bien sûr, il est difficile de s’adapter à ce nouveau format. Tout est devenu plus court, et les auditeurs ont moins de patience. Certains morceaux durent à peine deux minutes, ce qui rend l’histoire musicale plus complexe à raconter. Moi-même, j’ai été surpris d’avoir fait des morceaux plus courts sur Mute, sans l’avoir vraiment anticipé. Peut-être ai-je été influencé par cette tendance Spotify, qui modifie inconsciemment notre façon de créer.
Mais l’album reste essentiel, notamment pour la scène. Une tournée d’album n’a de sens qu’avec un album. Cette tournée me permet de jouer avec mon équipe, mes ingénieurs lumières, mon groupe… Et ça, c’est ce qui rend un musicien heureux. Jouer en live est bien plus excitant qu’un DJ set.
Je voulais revenir à ces racines, comme le suggère « Mute » : ralentir, arrêter de faire 100 DJ sets par an, me concentrer sur 50 bons concerts. Et pour ça, il fallait un album. Mon dernier datait de 2018, l’expérience m’a tellement plu que j’ai déjà envie d’enchaîner avec le prochain.
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À propos de cette tournée, à quoi peut-on s’attendre ?
Le show lumière est entièrement synchronisé, ce qui a été un vrai défi en production. Cela me laisse moins de liberté sur scène, car en live, je dois répéter les morceaux avec mon batteur et ne peux pas improviser complètement, sauf en solo. Les visuels sont réalisés par Sean Bloom, un ami d’enfance devenu un pionnier des arts visuels LED il y a 15 ans. On collabore aussi avec Telekollegen pour synchroniser les lumières sur chaque drop, créant une ambiance unique. L’équipe de tournée compte 10 personnes, chacune concentrée sur sa mission pour que tout s’assemble parfaitement.
C’est passionnant pour ceux qui aiment la musique live de voir comment un tel projet prend forme avec notre budget. On n’a pas les moyens d’un groupe mainstream, mais on avance étape par étape. C’est un énorme investissement, mais ça en vaut la peine. Le show promet d’être captivant, surtout à Paris, où Arvin assurera la première partie, ce qui me réjouit vraiment.
Ton set à Burning Man a été très bien accueilli. Ce festival semble parfaitement correspondre à ton ADN.
C’est mon festival préféré. Il demande un vrai investissement, rien que pour y arriver. Depuis San Francisco, il faut entre huit et douze heures de route, et pour moi, c’est toujours plus de 24 heures depuis Berlin, Ibiza ou la Suisse. Personne n’y va sur un coup de tête, il faut le vouloir et bien organiser son voyage. Cette implication se ressent sur place. Les gens vivent chaque instant à fond, il y a moins de caméras, moins de paraître, plus d’authenticité. C’est ce qui rend l’expérience unique en tant qu’artiste. Être sur scène, malgré la pression, transformer cette énergie en bonnes vibrations et voir le public repartir avec un sourire, c’est incomparable. On dit que c’est un festival pour les riches. Peut-être, mais je pense que tout le monde peut s’offrir cette expérience une fois dans sa vie. C’est comme partir en voyage en Inde ou à Bali. Et honnêtement, je ne vois pas tant de milliardaires à Burning Man.
La nature y est incroyable, les couleurs du soleil sont différentes à 1 500 mètres d’altitude. L’environnement est unique. Et les systèmes sonores sont impressionnants, ce qui me surprend à chaque fois. C’est un lieu magique, hors du temps.
Tu as fondé ton propre label, Disconnected. Pourquoi cette décision ?
Je n’ai jamais ressenti le besoin de fuir un label, mais aujourd’hui, j’ai envie d’être celui qui aide la nouvelle génération. Un label me donne une liberté totale : je peux sortir un album quand je veux et produire d’autres artistes, comme Beobê ou Natascha Polké.
Je veux soutenir les jeunes talents, comme Oliver Koletzki l’a fait pour moi avec Stil vor Talent. Percer entre 20 et 25 ans est difficile, sauf pour des phénomènes comme Avicii, dont l’histoire est tragique.
Quels conseils donnes-tu aux jeunes artistes ?
Reste authentique et sois vrai avec toi-même. Cela demande de la remise en question. Si tu fais une erreur, reconnais-la, corrige-la et sois honnête. Ne cherche pas à mentir. Être sincère sur scène te rend plus conscient de toi-même et plus résistant aux critiques.
Ce métier est difficile, rempli d’ego et de jalousie. Il faut croire en soi, peu importe ce que disent les autres. Sois discipliné, fais du sport, car ce métier est épuisant et tu ne tiendras pas sans être en bonne forme physique. Évite l’alcool, entoure-toi des bonnes personnes, d’amis de confiance et d’une équipe solide.
Ne cherche pas un manager à tout prix, sauf si tu trouves quelqu’un d’excellent. Il y en a beaucoup, mais tous ne sont pas les bons. Prends le temps de choisir.