Sonus Festival. Crédits : Dino Ninkovic
Dino Ninkovic

Aux origines des festivals cultes (6/7). Sonus : un club à ciel ouvert dans l’Adriatique

Publié le 14 août 2025

Sixième volet de notre série d’été sur les premières fois festivalières : en 2013, Sonus posait ses platines sur l’île de Pag. Techno, mer et rigueur allemande.

Croatie, été 2013. Le soleil tape, la mer brille, et sur la plage de Zrće, le béton d’un club à ciel ouvert vibre sous les kicks de la techno. Ce soir-là, au cœur de l’île de Pag, naît Sonus Festival. Quelques milliers de personnes, venues de toute l’Europe, inaugurent ce qui deviendra l’un des temples estivaux de la scène électronique internationale. Pas encore de files interminables, pas de production pharaonique, pas d’influenceurs ou de contenus calibrés TikTok. Juste un public de connaisseurs, des DJs triés sur le volet, et cette intuition : quelque chose est en train de naître.

Mais pour comprendre ce que représente Sonus aujourd’hui dans le paysage électronique mondial, il faut revenir à l’intention première de ses fondateurs. Un pari simple, presque évident : transposer l’underground berlinois sur une île croate, en gardant la rigueur musicale et l’énergie club, tout en y ajoutant la douceur d’un été au bord de l’Adriatique.

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Le flair allemand

Derrière Sonus, on retrouve Cosmopop, la structure allemande déjà aux commandes de Time Warp, festival légendaire né à Mannheim dans les années 90. À cette époque, Cosmopop commence à penser à l’international. Après avoir investi le Brésil, l’Argentine ou la Hollande, la Croatie leur semble être le territoire idéal pour un nouveau format : intimiste, club-friendly, mais ouvert sur la mer.

Car depuis la fin des années 2000, la côte croate attire les festivals indépendants. The Garden, Dimensions, Outlook ou Hideout y ont déjà installé leurs bases. L’île de Pag, et plus précisément la plage de Zrće, devient alors le lieu parfait pour Sonus. Accessible depuis Zagreb ou Split, bordée par des clubs en plein air comme Papaya, Kalypso ou Aquarius, elle coche toutes les cases. L’idée n’est pas de créer un festival en plus, mais un refuge pour les puristes, avec une programmation à la hauteur de ce que défend Cosmopop depuis ses débuts.

Une première entre béton et palmiers

La première édition de Sonus se tient en août 2013. Le festival se veut résolument techno, mais sans sectarisme. La programmation donne le ton : Chris Liebing, Luciano, Loco Dice, Pan-Pot, Ricardo Villalobos ou encore Joseph Capriati. Des habitués de Time Warp, mais dans un décor radicalement différent.

La particularité de Sonus, dès le départ, c’est l’alternance entre sets diurnes sur les plages, nuits dans les clubs à ciel ouvert, et after-boats en pleine mer. Le festival joue sur tous les tableaux, avec une seule constante : le son. Un système audio travaillé, des temps de jeu généreux, peu de contraintes commerciales. Les DJs jouent jusqu’à l’épuisement, et le public en redemande.

Le bouche-à-oreille fait son œuvre. Dès sa première édition, Sonus devient un lieu de pèlerinage pour les amateurs de techno européenne. Berlinois, Italiens, Français, Suisses, Hollandais… Tous répondent présents. La Croatie n’est plus une alternative : elle devient un passage obligé.

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Un format millimétré

Ce qui fait la singularité de Sonus, c’est d’abord son format : cinq jours de fête non-stop, entre clubs, afters, boat parties et chill en bord de mer. Contrairement à d’autres festivals qui misent sur le gigantisme, Sonus reste compact et lisible. Les clubs sont à quelques minutes à pied les uns des autres, les scènes sont bien identifiées, les transitions fluides.

Le public aussi a son importance. Moins de touristes que dans d’autres festivals balnéaires, plus de clubbers aguerris. Pas de camping sur place, mais une ville hôtelière (Novalja) qui vit au rythme du festival. Résultat : peu de débordements, une ambiance respectueuse, et une fidélité rare. Beaucoup reviennent chaque année. La communauté Sonus est soudée, presque familiale.

Et si les plages ont parfois un air de carte postale sur Instagram, sur les dancefloors, c’est le son qui prime. Les sets sont longs, profonds, souvent inattendus. On danse pieds nus, au lever du soleil, dans un décor naturel brut, sans fioritures. Ce n’est pas un décor de cinéma : c’est un véritable terrain de jeu pour DJs et fêtards éclairés.

Une esthétique bien à elle

Visuellement, Sonus ne cherche pas le spectaculaire. Pas de décors géants, de LEDs omniprésents, de slogans flashy. Le vrai décor, c’est la mer, le béton brut des clubs, les palmiers, et le ciel étoilé. L’identité visuelle du festival – sobre, graphique – reflète aussi cette volonté de laisser l’espace sonore primer sur le reste.

La ligne musicale, elle, reste techno et house dans leur expression la plus fidèle : pas d’EDM, peu de concessions au mainstream. Au fil des années, on y retrouve régulièrement les piliers de la scène allemande (Sven Väth, Ben Klock, Dixon, Âme), les stars italiennes (Joseph Capriati, Ilario Alicante), les Français d’Apollonia, mais aussi une place laissée aux nouveaux venus, toujours bien choisis.

L’évolution ne passe pas par l’expansion du site ou le changement de formule, mais par un raffinement progressif. Un meilleur son ici, une scénographie mieux pensée là, une montée en gamme de l’offre hôtelière ou gastronomique. On sent que le festival apprend chaque année, sans jamais trahir sa promesse de départ : une parenthèse exigeante, mais accessible.

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En 2025, toujours la même formule

Douze ans après sa création, Sonus a peu changé. C’est ce qui fait sa force. Là où d’autres festivals cherchent à grandir ou à se diversifier à tout prix, Sonus préfère creuser son sillon. En 2025 encore, le line-up joue sur la fidélité : Ben Klock, Ricardo Villalobos, Loco Dice, Indira Paganotto, Deborah De Luca, Adriatique, Patrick Mason… et des back-to-back devenus cultes (comme Joseph Capriati b2b Seth Troxler).

L’île de Pag, elle, s’est adaptée. Les infrastructures ont été renforcées, les hôtels se remplissent des mois à l’avance, les clubs investissent dans le son et les visuels. Mais l’esprit reste le même : une techno en short, pieds dans le sable, la tête dans les étoiles.

Alors que d’autres festivals flirtent avec les grandes marques et les formats hybrides, Sonus continue d’être une expérience pour les oreilles avant d’être un spectacle pour les yeux. Cela ne l’empêche pas d’attirer des milliers de personnes chaque été, bien au contraire : sa réputation repose sur ce refus de suivre les tendances à tout prix.

Une parenthèse pour puristes

Sonus, ce n’est pas seulement un festival. C’est une parenthèse, une échappée dans un coin d’Europe qui semble fait pour cela. C’est le fruit d’un dosage rare entre rigueur allemande, chaleur croate et passion européenne. Ce n’est pas le plus connu, ni le plus médiatisé. Mais il est de ceux que les habitués citent toujours avec un sourire en coin. Celui qu’on garde pour soi, comme une bonne adresse.

Dans une époque saturée d’images et de formats éphémères, Sonus a choisi une autre voie : celle du temps long, du son pur, du plaisir sincère. Et c’est peut-être pour cela qu’il est devenu, sans bruit, un des rendez-vous les plus respectés du calendrier électronique mondial.

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